HISTOIRE : ''[...] La nouvelle fait la une de tous les journaux en Afrique du Sud :
''la Success Story du couple Wallis enfin adaptée au cinéma !''. Tandis que le choix des acteurs fait les gorges chaudes, et que des repérages se font dans le quartier natal d'Apollinaire et Coumba Wallis à Isihogotsha pour le tournage du film, ces derniers ont une conversation téléphonique houleuse avec le réalisateur et le scénariste. Le sujet ? Leurs enfants. Apollinaire et Coumba insistent : ils n'en ont que quatre. Pourtant, il y a bien une aînée, une cinquième - dont, il est vrai, on a très peu entendu parler, malgré l'événement que représentait la naissance du premier enfant des ''rois Noirs'' de la Banque Centrale Sud-Africaine. Devant l'insistance du scénariste, Coumba finit par annoncer d'une voix sèche :
Elle est morte.Et c'est vrai. Ou tout du moins, ça l'est à leurs yeux.
Wanda Wallis portait en elle tous les espoirs d'un jeune couple à qui, à force de sueur et de sang, la vie n'avait cessé de sourire. Leur ascension sociale fut phénoménale, et fit d'eux des stars pour la cause noire-africaine - les tensions raciales n'ayant jamais quitté l'Afrique du Sud. Wanda Wallis devait être la clef de voûte, le bouquet final de leur insolent succès ; mais dès le jour même de sa naissance, elle ne fut qu'une intense déception.
Née avec la peau d'une pâleur diaphane, des cheveux blancs et des yeux bleu azur, elle réveilla toutes les peurs et les superstitions enfouies chez les Wallis. Depuis des siècles les enfants albinos sont réputés pour amener malchance et malédiction dans les pays d'Afrique, tradition qui perdura jusque dans l'esprit du
''couple moderne et militant le plus inspirant du monde'' [article du Huffington Post après la promotion d'Apollinaire et Coumba comme associés de la BCSD]. Cela faisait si longtemps qu'ils n'avaient été confrontés à la peur et la déception que le choc fut aussi intense que si le bébé avait été pourvu de cornes et de sabots. Ne pouvant regarder un tel traumatisme, un tel échec en face, ils s'abandonnèrent à ce réflexe bien connu des citoyens qui passent sans s'arrêter devant des sans-abris : ils ignorèrent - puis oublièrent.
Wanda grandit dans la quasi-indifférence générale, ayant l'interdiction stricte de quitter la demeure familiale. Elle reçut malgré tout une excellente éducation, par les meilleurs précepteurs du Berceau (tenus au silence, cela va sans dire) ; elle vécut entourée de jouets et d'adorables animaux de compagnie, dans une chambre d'enfant des plus
cosy et
chic, et ne manqua jamais de rien - si ce n'est d'amour, d'affection et de reconnaissance, que ses parents se refusèrent toujours de lui donner. Elle eut quatre frères et soeurs, qui cessèrent vite d'être des compagnons de jeux pour imiter le froid mépris de leurs parents. Toute la famille partit en Amérique pour l'anniversaire de mariage des Wallis - sauf elle. Bantou, Ama, Idriss et Mael furent chaleureusement félicités et encouragés pour leurs bons et leurs médiocres résultats scolaires - mais jamais ses excellentes notes ne furent saluées. [...] Jamais Wanda ne se plaignit. Jamais elle ne pleura ou cria très fort, plusieurs fois elle eut la tentation de se précipiter au salon alors que ses parents recevaient, pour jeter les vases en porcelaine par terre, mais jamais elle ne s'exécuta.
Pourtant la rancoeur grandissait dans son coeur. Le désir de vengeance, aussi. Mais Wanda avait pris une décision : si ses parents refusaient de reconnaître sa valeur, elle allait la leur prouver. Comment ? En les imitant. Etape par étape, elle copierait leur ''
success story'', quittant les bas-fonds puants d'Isihogotsha pour emménager dans la gloire et les flashs au Premier Niveau, dans la maison voisine de la leur, identique en tout point - mais juste un peu plus grande. Seule, albinos, fragile, privée de l'amour et du soutien de sa famille - Wanda Wallis décida qu'elle y parviendrait.
Seulement, elle détestait tout ce qui touchait à l'univers de la finance. Depuis toute petite, la seule chose qui retenait son attention, c'était les
cartes. Les
monstres. Ses soeurs lui avaient tellement répété qu'elle en était un, de monstre. Profitant de la richesse de ses parents, elle établit une collection considérable, perfectionnant et peaufinant ses stratégies sans relâche, fascinée par l'Ombre et la Lumière, rêvant de devenir une duelliste accomplie. Personne ne faisait attention à elle.
Elle fêta ses dix-huit ans avec une splendide pièce montée à la framboise et à la crème - seule, dans sa chambre. Elle s'enfuit dans la nuit, avec sa collection de
cartes, un imperméable, un parapluie et des lunettes noires, et les millions en billets de cinquante, prélevés patiemment depuis dix ans dans le portefeuille parental. Rien ne fut plus simple que de quitter le Premier Niveau - elle savait cependant qu'on ne pouvait en dire autant pour y entrer. Mais elle y parviendrait - en guise de joker, elle avait laissé une lettre à ses parents, leur expliquant ses intentions, une lettre qu'ils ne pourraient ignorer car Wanda menaçait de se dévoiler à la presse, si jamais ils refusaient de la soutenir dans le cas où elle les appelait pour leur demander de l'aide.
Cela fut dur, très dur, d'être une albinos à Isihogotsha, plus dur que Wanda ne l'imaginait. Mais Wanda survécut. Elle fut soutenue par une libraire qui connaissait elle aussi les
cartes, et son arrière-salle lui permit de tester ses compétences lors de duels de monstres clandestins. Quand elle se promenait dans les quartiers, en rasant les murs, ses cheveux blancs lâchés dans son dos revêtu d'un imper noir, on la surnommait le Fantôme. Elle aima ce surnom. Elle avait déjà choisi sa nouvelle identité.
Et c'est ainsi que Wanda Wallis mourut, et que je devins Sélène. Sélène le Fantôme.''
Autobiographie, ou les noires rancoeurs d'une enfant blanche, par Sélène Wallis, éditions AmazonBooks Inc.